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Woolf V
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« Je m'efforcerai d'être un serviteur honnête, soucieux de rassembler la matière susceptible d'être utile, par la suite, à une main plus experte - ou bien d'évoquer des tableaux plus achevés », note la jeune Virginia Woolf, apprenti écrivain passionné déjà dévoué corps et âme à la genèse d'une oeuvre qui comptera parmi les chefs-d'oeuvre du XXe siècle. Son journal d'adolescence s'ouvre en 1897, alors qu'elle a quinze ans. L'écriture, d'emblée, se révèle salutaire pour la jeune fille au talent précoce. Refuge contre la douleur lorsqu'elle perd sa mère - l'ange du foyer - son père et son frère Thoby ; garde-fou contre la folie qui rôde. Mais le Journal d'adolescence qu'elle rédige dès 1897, et qui couvre une décennie, est avant tout un cahier où Virginia Woolf s'applique à faire des phrases comme on fait des gammes, en se moquant d'elle même. Et des autres, tant elle excelle à épingler d'un trait caustique visiteurs et auteurs lus. Car l'adolescente lit sans se rassasier. Aristote et Hawthorne, Henry James et Thomas Hardy. Passant ainsi son esprit au tamis de la bibliothèque familiale, elle exerce son jugement critique et affine peu à peu sa singularité propre. Puis, au fil des années, l'apprentissage livresque se double de séjours à l'étranger. Les cahiers se font alors journaux de voyage, en Grèce, en Turquie, en Italie. Loin d'y céder à la tentation facile d'un exotisme de convention, l'écrivain en herbe s'interroge sur la manière d'embrasser le vivant sans le figer, se plaçant déjà à rebours des canons en vigueur, des mécanismes romanesques faciles. Au seuil de son entreprise littéraire, la grande Virginia Woolf touche déjà du doigt son génie à venir.
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Instants de vie est composé de cinq textes distincts, tous autobiographiques. Avec verve, avec fureur, avec humour, avec âpreté, Virginia Woolf écrit, à plusieurs époques de sa vie, la crudité, la sauvagerie d?une existence en apparence très civilisée. À vingt-cinq ans dans Réminiscences (1908), à cinquante-huit ans dans Une esquisse du passé (1939), elle raconte une même histoire, celle de son enfance, de sa jeunesse, et crie la même plainte. Virginia parle de sa défunte mère, Julia Stephen, dynamique et rêveuse, à la beauté ensorcelante, qui laisse derrière elle un vide irréparable. De sa soeur Stella, qui mourra quelque temps après sa mère. Et enfin du père, Leslie Stephen, prêtre défroqué, philosophe médiocre, qui impose à ses filles et à son épouse son autorité étouffante, toute victorienne. Un père qui, à la mort de son épouse, transforme la maison, jusqu?alors lumineuse et radieuse, en un lieu glauque, poisseux, où tout est prétexte à de froides agressions. Mais Instants de vie rend compte également des années heureuses, en particulier à Saint Ives en Cornouailles, où la famille passait les vacances du vivant de Julia Stephens. Et la drôlerie irrésistible de Virginia Woolf se révèle dans les trois textes qui closent le recueil, dans lesquels l?auteur revisite son passé avec distance et humour devant ses amis du groupe de Bloomsbury. Rires, larmes et mélancolie, c?est une Virginia Woolf passionnée, ravagée par le passé qui se découvre ici. Instants de vie remet en question toute la lecture d?une oeuvre inépuisable et permet de mieux pénétrer une vie impérissable.
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Des vacances sur une île en Écosse. Un enfant rêvant d'aller au phare. Sa mère, Mrs Ramsay, objet de l'admiration de tous. Une expédition au phare dix ans après. La guerre qui entre-temps a créé un vide et laissé un goût amer. Des survivants qui luttent pour combler le vide laissé par l'absence.
Entre résurgences enfantines et souvenirs qui se délitent, Virginia Woolf passe au scalpel les tréfonds de la conscience, en évoquant au travers d'une oeuvre poétique, les pensées, les délires et les fantasmes de ses personnages.
Ce roman, qualifié par son mari Leonard de « poème psychologique », privilégie l'introspection, le récit libre, qui laisse exploser ce qu'elle appelait : « La vie telle qu'elle est quand on n'y prend pas part. » À la manière de Joyce ou de Proust, elle décortique l'âme humaine, mettant à nu sa fragilité et les déchirements de son enfance.
Après la réédition du Journal d'adolescence et du Journal intégral, ainsi que la très remarquée traduction qu'Agnès Desarthe a réalisée de La Chambre de Jacob, « la Cosmopolite » poursuit la mise en valeur des oeuvres de cet auteur hors du commun. -
Roman à clefs multiples, Orlando est essentiellement le roman de l'androgynat, l'histoire d'un homme qui devient femme, une allégorie qui est un aveu, une biographie où s'abolissent les limites des deux sexes en même temps qu'une réflexion sur l'esthétique littéraire comme moyen de subvertir l'ordre prétendu immuable du réel.
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La Première Guerre mondiale est au coeur de ce grand roman expérimental de Virginia Woolf. L'action se situe pourtant principalement dans l'Angleterre d'avant 1914. Mais Jacob Flanders, jeune homme dilettante et volage qui en est le héros, meurt au champ de bataille et Virginia Woolf semble composer son portrait en ayant constamment à l'esprit ce dénouement fatal. Dès la première scène, on sent ainsi la mort rôder autour de Jacob alors que, encore enfant, il joue sur une plage de Cornouailles.
Avec ce roman, publié en 1922 comme l'Ulysse de Joyce, Virginia Woolf rompt avec les conventions du réalisme et du naturalisme. Son héros n'apparaît jamais au premier plan mais sous la forme d'impressions qu'ont pu avoir de lui son entourage : sa mère, jeune veuve de petite noblesse, les femmes qu'il a aimées et trompées, une vieille dame croisée dans un train.
Virginia Woolf offre au lecteur une vision kaléidoscopique où se superposent le passé, le présent et l'avenir du héros. S'intéressant à la difficulté pour l'écrivain de restituer la nature complexe et opaque d'un être humain, elle donne une existence littéraire au caractère faillible et trouble de la mémoire.
Ce livre explore le sentiment profond de perte qui habite l'être humain et on ne peut s'empêcher de penser qu'il rend hommage au frère de l'auteur, Thoby, mort très jeune, en 1906, d'une typhoïde. -
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Virginia Woolf dont l'image a été si souvent dénaturée, exploitée, au profit de tant de causes, nous apparaît enfin, avec ce premier volume de son Journal intégral, dans sa seule vérité. Il ne s'agit cependant pas d'un "journal de l'âme" qui la montrerait telle qu'en elle-même, mais de celui révélateur et irréfutable de la vie quotidienne.
Ainsi, au lieu du monstre sacré du Journal d'un écrivain, textes exclusivement littéraires tronqués et arrachés au journal intégral à une époque où il n'était pas encore publiable dans sa totalité (et que l'on retrouvera incorporés ici à leur véritable place, c'est-à-dire dans une plus juste perspective) nous découvrons une femme primesautière, pleine d'humour, chaleureuse, passionnée par la vie, par l'amitié, par le spectacle de la nature. La voici se promenant sur les collines du Sussex ; à Londres avec sa soeur bohême et ses jeunes neveux, ou avec ses amis Lytton Strachey, Morgan Forster, Thomas Eliot, etc., ou faisant la connaissance de l'attirante mais hermétique Katherine Mansfield, sa soeur en écriture. La voici surtout avec Leonard, si différent d'elle mais si compréhensif et vigilant, en l'absence duquel elle "se sent comme une ville assiégée" et avec qui elle forme "le couple le plus heureux d'Angleterre".
Mais, de plus, à mesure que se dévoile cette nouvelle Virginia d'une candeur émouvante, le Journal commencé à titre d'essai, après plusieurs tentatives avortées, prend peu à peu sa forme propre, "un visage bien à lui", dira Virginia. Cette création spontanée, à laquelle le lecteur a comme l'impression de participer et où le génie de l'écriture éclate jusque dans les passages les moins étudiés, est d'une profonde originalité et aboutit à un chef-d'oeuvre du genre, fascinant, éblouissant.
Née le 26 mars 1878, Virginia Woolf s'est donné la mort le 28 mars 1941, plutôt que d'affronter la folie qu'elle "sentait venir avec certitude". Outre l'intégralité de son journal, les Editions Stock ont publié toute l'oeuvre romanesque de celle qui est considérée comme l'un des plus grands écrivains anglais de tous les temps.
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Nouvelle traduction annotée pour ce texte fondamental qui sera l'avant-dernier publié par Virginia Woolf de son vivant. Certainement l'un de ses plus frontalement engagés. À partir d'une question adressée à une femme à l'aube de la Seconde Guerre mondiale comment selon vous pouvons-nous empêcher la guerre ? , l'écrivaine esquisse, dans un essai-fiction épistolaire, un nouveau territoire d'action publique spécifiquement féminin, se dressant contre les valeurs sociales dominantes. « Nous avons l'impression d'entendre un brouhaha de voix partant dans tous les sens, et le monde semble marquer le pas [...] Au cours du siècle dernier, l'influence phénoménale du progrès scientifique ne s'est jamais démentie, sans que cela s'accompagnât pour autant d'exploits littéraires ou scientifiques [...] Nous nous posons la question de savoir si l'homme est capable de profiter de ces nouveaux fruits de la découverte et de la connaissance scientifique, ou s'il provoquera sa propre destruction et celle de l'édifice de la civilisation en en faisant un mauvais usage. »