Pascal Quignard
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« Il poussa la porte qui donnait sur la balustrade et le jardin de derrière et il vit soudain l'ombre de sa femme morte qui se tenait à ses côtés. Ils marchèrent sur la pelouse.
Il se prit de nouveau à pleurer doucement. Ils allèrent jusqu'à la barque. L'ombre de Madame de Sainte Colombe monta dans la barque blanche tandis qu'il en retenait le bord et la maintenait près de la rive. Elle avait retroussé sa robe pour poser le pied sur le plancher humide de la barque. Il se redressa. Les larmes glissaient sur ses joues. Il murmura :
- Je ne sais comment dire : Douze ans ont passé mais les draps de notre lit ne sont pas encore froids. »
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«Il faut avoir du courage quand le bonheur est là. C'est tellement rare : accueillir le bonheur. Il ne faut pas broncher quand il jaillit, spontané, étonnant, debout, effaré, raide, pressant, incompréhensible. Il ne faut pas pâlir devant le bonheur, pas plus qu'on ne doit trembler devant la souffrance.» Au fil de ce roman éblouissant, l'auteur de Tous les matins du monde explore les mystères de la création musicale et de la passion amoureuse, dans l'Europe funeste et enfiévrée du XVII? siècle.
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Compléments à la théorie sexuelle et sur l'amour
Pascal Quignard
- Seuil
- Fiction Et Cie
- 5 Janvier 2024
- 9782021549492
« Naissant, ne parlant pas, sans force, projeté dans les airs, nu, pleurant, surgissant dans l'orée du soleil... » Qu'est-ce que les anciens Romains entendaient par enfance ? Pourquoi, chez les anciens Grecs, le premier des dieux est-il Chaos, avant même le ciel et la nuit ? Qu'est-ce que le sommeil ? Qu'est-ce qu'une énigme ? Que veut dire Tirésias dans sa réponse alambiquée sur l'immense plaisir que ressentent les femmes ? Quelle est l'origine du mot sex ? Qu'est-ce qu'un fantôme ? Une sirène ? La Lorelei ? Psychè ? Hérô ? Comment la vie intra-utérine se prolonge-t-elle dans la vie atmosphérique sans y trouver de fin ? Pourquoi l'expérience humaine serait-elle bornée par le langage alors qu'il lui a fallu l'apprendre ? En quoi son destin serait-il voué à la vie en société ?
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Derrière les heures ce sont les paysages.
Le temps qui se tient derrière le temps c'est la rotation des paysages.
Le printemps, l'été, l'automne, l'hiver.
Les paysages sont les visages inoubliables du temps originaire qui fuse.Donner une forme imprévisible à sa propre vie et s'y tenir quelle qu'elle soit devenue, tel est le but de l'ascèse.À l'intérieur de l'énigme de chaque vie, chacun devient alors l'indice d'une chance, d'un heur qui est comme tombé du ciel.
J'ai eu l'heur de vivre.
Bon heur : bonne pioche.
Mal heur : mal chance, mauvaise étoile. Les heures heureuses est un bréviaire de splendeurs. Politis [...] la musique de sa prose est tellement intense qu'il suffit de se laisser bercer par sa beauté. La vie Un livre somptueux, qui rend heureux. L'Obs -
«Loin devant les villas sur la digue, elle se tenait accroupie, les genoux au menton, en plein vent, sur le sable humide de la marée. Elle pouvait passer des heures devant les vagues, dans le vacarme, engloutie dans leur rythme comme dans l'étendue grise, de plus en plus bruyante et immense, de la mer.»
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Dernier royaume Tome 11 : l'homme aux trois lettres
Pascal Quignard
- Folio
- Folio
- 9 Juin 2022
- 9782072940729
«Le mot littérature est sans origine. J'aurai consacré ma vie à une proie insaisissable. Dont le nom n'avait aucun sens. Ni usage, ni fonction, ni dessein, ni origine, ni but.»
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En 1860, un pasteur américain, Simeon Pease Cheney, a noté les sons que les gouttes de la pluie faisaient retentir sur l'herbe et les petits sentiers du jardin de son presbytère. Après sa mort, la fille qu'il a reniée fait publier, sur ses pauvres deniers de professeur de chant et de violoncelle, le livre de son père. En 1893, Dvorák, lisant cette oeuvre, écrit son quatuor à cordes n°12.
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«Quand Auguste réorganisa le monde romain sous la forme de l'empire, l'érotisme joyeux, anthropomorphe et précis des Grecs se transforma en mélancolie effrayée.Des visages de femmes remplis de peur, le regard latéral, fixent un angle mort.Le mot phallus n'existe pas. Les Romains appelaient fascinus ce que les Grecs appelaient phallos. Dans le monde humain, comme dans le règne animal, fasciner contraint celui qui voit à ne plus détacher son regard. Il est immobilisé sur place, sans volonté, dans l'effroi.Pourquoi, durant tant d'années, ai-je écrit ce livre ? Pour affronter ce mystère : c'est le plaisir qui est puritain.La jouissance arrache la vision de ce que le désir n'avait fait que commencer de dévoiler.»Pascal Quignard.
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Une jeune femme promet à un homme de retenir son nom. Un jour ce nom lui fait soudain défaut. Ce défaut lui brûle les lèvres. Le désespoir la gagne.
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Alors que Charlemagne vient de mourir, ses deux petits-fils, les jumeaux Nithard et Hartnid vont parcourir la France et le monde. Un vendredi de février 842, sur le bord de l'Ill - une rivière française qui baigne la plaine d'Alsace -, dans un froid terrible, une étrange brume se lève sur les lèvres des soldats francs qui s'apprêtent à proclamer leurs serments. On a appelé cette brume le « français ». Nithard, en transcrivant le soir même les « Serments de Strasbourg », fut ainsi le premier à noter la langue française.
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En Bretagne, de nos jours, près de Dinard, une femme d'une quarantaine d'années retrouve par hasard le professeur de piano de son enfance. Cette femme âgée lui propose de venir habiter chez elle. Petit à petit, elle se réinstalle dans la petite ville où elle a vécu autrefois, retrouve son premier amour, se lie comme jamais elle ne l'avait fait avec son frère plus jeune, redécouvre les lieux, les chemins, les roches, se passionne pour la nature, le mer. Soudain, un jour, sa fille, qu'elle n'avait plus vue depuis des années, revient vers elle. De façon polyphonique, tous les personnages qui la côtoient (un prêtre, la bonne du professeur de piano, son frère Paul, un cultivateur, la factrice, un cousin qui vit près de là, la conductrice du car de ramassage scolaire, la masseuse de la thalassothérapie, sa fille Juliette) évoquent cette femme dont la destinée paraît de plus en plus étrange. Chacun a son interprétation. Chacun essaie de comprendre les rapports troublants, mystérieux, silencieux, sauvages que Claire se met à entretenir avec sa famille, l'amour, la falaise, le ciel, les oiseaux, l'origine.
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Ce dixième tome traite du faux dans l'art et le rêve. En s'appuyant sur des légendes, mythologies et contes du passé, Pascal Quignard s'interroge sur la façon dont ces textes formés au fil du temps sont devenus un moyen d'expression de l'art et du rêve, qui éloignent l'homme du vrai. L'auteur compose sa réflexion de souvenirs, d'analyses d'oeuvres littéraires ou artistiques, de fragments de pensées ou d'histoires.
"Je cherche, dans Dernier Royaume, une autre façon de penser à la limite du rêve. Une façon de s'attacher à la fragmentation de la langue écrite, et d'avancer en décomposant les images des rêves, en exhumant les textes sources. Quelle étrange falsification a lieu dans le rêve ? Dans le dessin qui naît sous les doigts ? Dans le langage qui gémit ? Dans la pensée qui hallucine ? Dans la musique même ? Ce dixième tome de Dernier royaume n'a qu'un sujet : le faux qui fait le fond de l'âme.
Tous les arts élèvent des mondes faux. L'art dès son origine témoigne activement d'un passé présent : d'un rêve actif qui passe les générations et remanie ce qu'il fait revenir. L'art de la préhistoire est une référence fondamentale pour toutes les populations humaines actuelles. C'est le véritable patrimoine."
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«Il y a un âge où on ne rencontre plus la vie mais le temps. On cesse de voir la vie vivre. On voit le temps qui est en train de dévorer la vie toute crue. Alors le coeur se serre. On se tient à des morceaux de bois pour voir encore un peu le spectacle qui saigne d'un bout à l'autre du monde et pour ne pas y tomber.»
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«Il y a dans lire une attente qui ne cherche pas à aboutir. Lire c'est errer. La lecture est l'errance.»
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«Pourquoi les femmes ont-elles si peu composé de musique ? Les femmes naissent et meurent dans un soprano qui paraît indestructible. Leur voix est un règne. Les hommes perdent leur voix d'enfant. À treize ans, ils s'enrouent, chevrotent, bêlent. Les hommes sont ces êtres dont la voix casse - des espèces de chants à deux voix. On peut les définir, à partir de la puberté : humains qu'une voix a quittés comme une mue. En eux l'enfance, le non-langage, le chant des émotions premières, c'est la robe d'un serpent. Alors ou bien les hommes, comme ils tranchent les bourses testiculaires, tranchent la mue. C'est la voix à jamais infantile. Ce sont les castrats. Ou bien les hommes composent avec la voix perdue. On les appelle les compositeurs. Ils recomposent autant qu'ils le peuvent un territoire sonore qui ne mue pas, immuable. Ou encore ils suppléent à l'aide d'instruments les défaillances et l'abandon ou l'aggravement de leur voix les a plongés. Ils regagnent de la sorte les registres aigus, à la fois puérils et maternels, de l'émotion naissante, de la patrie sonore. Ils s'en font virtuoses.» Pascal Quignard.
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«Quand la musique était rare, sa convocation était bouleversante comme sa séduction vertigineuse.Quand la convocation est incessante, la musique repousse.Le silence est devenu le vertige moderne.Son extase.J'interroge les liens qu'entretient la musique avec la souffrance sonore.»Pascal Quignard.
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«Ulysse en haillons est reconnu par son vieux chien Argos. La scène est bouleversante parce que aucun homme et aucune femme sur l'île d'Ithaque n'a encore reconnu Ulysse déguisé en mendiant : c'est son vieux chien, Argos, qui reconnaît cet homme tout à coup. Le premier être surpris à penser, dans l'histoire européenne, est un chien. Penser, c'est renifler la chose neuve qui surgit dans l'air qui entoure. C'est intuitionner au-delà des haillons, au-delà du visage barbouillé de noir, au sein de l'apparence fausse, au fond de l'environnement qui ne cesse de se modifier, la proie, une vitesse, le temps lui-même, un bondissement, une mort possible.»
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L'auteur poursuit la réflexion qu'il avait initiée avec«Le sexe et l'effroi». En s'appuyant sur des sources iconographiques variées : Bosch, Dürer, Monsu Desiderio, Raphaël, Titien, Rembrandt, Rubens..., il pose la question des origines de l'être.
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Un récit dont les protagonistes sont le narrateur et un personnage disparu, auxquels il faudra sans doute ajouter le lecteur de ce livre dont le sujet est le pouvoir destructeur de la lecture. Car lorsque le narrateur s'interroge sur la disparition mystérieuse de ce personnage, nous devons comprendre qu'il s'agit de la sienne propre, et aussi de la nôtre. En effet, en lisant un livre, nous nous abandonnons tous à une sorte de jeu mortel où la personnalité s'abandonne et se perd.
Tel est le point de départ original de cette haute méditation sur la lecture, et ses effets ambigus. Mais cette réflexion est menée à travers une oeuvre qui finit par constituer elle-même une aventure poétique et romanesque, le roman du lecteur dévoreur et dévoré.
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«Le roi dit : Il est possible que les oeuvres d'art soient le fruit des vengeances. Un de mes compagnons s'est peut-être vengé malgré l'interdiction que je lui avais faite [...]. Le désir nous affole tous les jours et sa carence nous abandonne aux ombres. Et il est vrai que les ombres sont bleues. C'est pourquoi je suis venu avec vous jusqu'ici.»Pascal Quignard.
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Au travers d'une méditation sur les fleurs, Pascal Quignard médite de l'aube à la nuit - et merveilleusement - sur le carpe diem : ne faut-il pas vivre l'instant plutôt que le cueillir ?
Tout le monde - du moins à l'occident de ce monde - se souvient de ce fragment de vers que Horace a écrit dans son XIe Ode :
Carpe diem.
Cueille, extirpe, arrache le jour.
Je veux comprendre ce beau vers mystérieux : pourquoi songer à cueillir le jour ?
Ne vaudrait-il pas mieux vivre le moment qui passe, plutôt que l'arracher à l'intérieur des heures qui se suivent ?
Pascal Quignard -
Sur l'image qui manque à nos jours Pascal Quignard Les lecteurs de Pascal Quignard retrouveront ici un thème qui lui est cher, magnifiquement développé dans deux beaux livres illustrés : Le Sexe et l'Effroi, chez Gallimard, en 1994, La Nuit sexuelle, chez Flammarion, en 2007.
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«Le passé est un immense corps dont le présent est l'oeil. Ce corps rêve. La voix l'a abandonné.»
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«Qu'on n'oublie pas que je ne dis rien qui soit sûr. Je laisse la langue où je suis né avancer ses vestiges et ces derniers se mêlent aux lectures et aux rêves.»